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Une touche d’art : Sainte Euphémie d’Andrea Mantegna.

21 Jan

Ayant récemment présenté une œuvre lors de l’exposition consacrée à Andrea Mantegna (1431-1506) au Louvre à l’occasion des JOP que j’ai évoquées lors d’un billet précédent, je me disais que cela pourrait être intéressant de partager un moment d’art sur mon blog 🙂 . Me voici donc avec une petite présentation du tableau que j’ai commenté durant l’exposition. Bien entendu, je me dispense de suivre une problématique et un plan défini… je ne suis pas en cours après tout 😉 !

Saint Euphémie est une œuvre d’Andrea Mantegna réalisée en 1454, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un tableau de jeunesse de l’artiste, mais qui témoigne déjà des nombreuses qualités qui le rendront célèbres. Il était déjà assez renommé au moment où il peignit cette toile pour Roberto de Mabilia, un chanoine de l’actuelle ville d’Irsina, une ville du sud de l’Italie où Sainte Euphémie est la sainte patronne et qui était devenue ville épiscopale en 1452. Grâce à des sources écrites, nous savons que l’oeuvre est restée à son emplacement d’origine jusqu’en 1592 au moins, puis nous savons qu’elle a appartenu à la famille Borgia, bien que nous ne sachions pas de quelle façon le tableau est arrivé dans les collections de cette famille. Il est néanmoins au musée nationale du Capodimonte à Naples depuis 1814. L’état de conservation de l’oeuvre est assez médiocre à cause d’un incendie qu’elle a subi avant 1814 (cf. : inventaires de la famille Borgia), mais aussi à cause des couches successives de vernis qui ont été superposées et qui ont ainsi dégradé la couche picturale de manière irréversible, ce qui explique l’aspect extrêmement sombre des coloris.

Pour ce qui est de la sainte, il s’agit en fait d’une martyre paléochrétienne de la fin du IIIe siècle, c’est-à-dire qu’elle vécut à une époque où la religion chrétienne n’était pas encore officielle : elle le devint grâce à l’édit de Milan en 313. Elle a été suppliciée pour avoir publiquement reconnue sa foi et pour n’avoir donc pas sacrifié aux idoles. Jacques de Voragine raconte les divers supplices que le juge Priscus lui aurait fait subir dans son recueil hagiographique du XIIIe siècle, qui eut un grand succès populaire : La légende dorée. Je reviendrai sur deux éléments de son martyre un peu plus loin pour les mettre en relation avec le tableau.

Dans cette œuvre sur toile a tempera (technique de peinture dans laquelle l’eau constitue le diluant et où le liant peut être de l’œuf, ou, comme ici, de la colle) les influences de l’artiste sont multiples. Tout d’abord, il faut souligner les diverses références à l’Antiquité, chère aux humanistes de la Renaissance puisqu’elle se caractérise notamment par la redécouverte de l’art des anciens. En effet, Mantegna, au-delà de son appartenance à ces artistes du XVe siècle a aussi développé un réel goût pour cette période ancienne. Dans Sainte Euphémie, l’architecture qui encadre la sainte et le lion situé à droite de celle-ci est un type de construction à l’antique par sa forme, mais également par le matériau illusionniste dans lequel l’arche est faite puisque le marbre par lui-même est une citation des bâtiments antiques. Par ailleurs, on distingue deux inscriptions sur la toile, une en-haut (SANTA EUFEMIA) et une en-bas (OPUS ANDREA MANTEGNAE MCCCCLIIII). Elles sont toutes deux réalisées dans des caractères dits « à l’antique », que Mantegna avait déjà utilisés dans son Saint Marc de 1447-1448. Toutefois, sa représentation des lettres antiques est tout à fait virtuose ici, ce qui n’était pas le cas dans le Saint Marc, où le tracé était encore maladroit. Ces lettres sont caractérisées par une grande régularité des lignes, une homogénéité dans les proportions, dans la taille et entre les caractères. De même, il est important de respecter un espacement régulier entre les lettres mais aussi entre les mots eux-mêmes. C’est ici le cas dans les deux inscriptions, mais l’artiste réussit aussi à donner l’impression que les lettres sont gravées dans la pierre pour l’inscription du haut et qu’elles sont manuscrites sur un morceau de parchemin pour celle du bas, ce qui met en évidence la virtuosité de la technique de Mantegna, qui fut d’ailleurs celui qui contribua le plus à la diffusion de ces caractères « à l’antique » dans le nord de l’Italie.

Toutefois, le tableau a été réalisé à Padoue, dans le nord de l’Italie, et les influences locales sont aussi très présentes dans cette Sainte Euphémie. En effet, la présence de Donatello à Padoue est attestée durant les années précédant la réalisation de cette toile et on sait que Mantegna, ainsi que d’autres artistes de la même époque ont été inspirés par les magnifiques bronzes de ce sculpteur virtuose. Aussi, en regardant la peinture, on ne peut échapper à l’impression d’avoir une sculpture face à soi. En effet, la frontalité de la sainte, son aspect hiératique ainsi que l’architecture sous laquelle elle est placée induisent l’idée d’une statue : elle donne vraiment l’impression d’être une sculpture placée dans une niche d’église. Cependant, cette impression est tout de même nuancée par la présence de la perspective linéaire créée par le biais de l’architecture. Certes, la profondeur n’est pas extrêmement grande, mais elle permet de placer les figures dans un espace tridimensionnel dans lequel on peut imaginer qu’Euphémie peut se déplacer. On distingue en effet un arrière-plan situé derrière l’arche qui est en assez mauvais état, mais qui n’en demeure pas moins présent. Pour ce qui est des motifs padouans, on distingue également celui de la guirlande de feuilles et de fruits qui est clouées dans le marbre et qui pend au-dessus de la tête d’Euphémie. Cette même guirlande se trouve également à l’arrière-plan, sur la face postérieure de l’arche, ce qui accentue un peu mieux encore l’effet de perspective. Je ne peux pas en donner une explication symbolique, mais ce motif décoratif se retrouve dans d’autres œuvres padouannes du peintre, comme dans le Saint Marc, mais également dans des peintures ou des sculptures d’autres artistes ; la guirlande étant un motif typique de la ville de Padoue.

Euphémie était fille de sénateur, ce qui signifie qu’elle était une jeune fille noble. Cet aspect de son histoire est traduit dans la peinture par les luxueux vêtements qu’elle porte, mais aussi par les bijoux dont elle est parée : la couronne, la fibule qui tient son manteau, ainsi que les deux bracelets qu’elle porte aux poignets. Toutefois, au-delà de son statut social, ces éléments révèlent les influences nordistes de Mantegna. En effet, en observant de près la minutie avec laquelle les bijoux sont peints, le soin avec lequel l’artiste s’est attaché à représenter les détails des joyaux, on ne peut qu’établir un parallèle entre cette toile et les œuvres légèrement antérieures de Jan Van Eyck ou Rogier van der Weyden, tous deux étant des peintres de l’école du nord. Les spécialistes y trouvent cette influence évidente, bien qu’elle soit un peu précoce en Italie du nord.

Par ailleurs, Euphémie a la tête haute, le regard perdu dans le vague et le visage empreint d’une grande intériorité, caractéristiques des représentations de Mantegna. A l’inverse, le lion au regard larmoyant regarde le spectateur et c’est lui qui fait ainsi le lien entre la peinture et ce dernier. On distingue deux références au martyre de la sainte dans ce tableau : le lion et l’épée qui est enfoncée dans le flanc gauche de la femme. D’une part, le lion par sa grande tristesse témoigne du fait que les bêtes féroces auxquelles Euphémie avait été jetée par son jbourreau ne l’ont pas dévorée ; bien au contraire, elles entrelacèrent leurs queues afin de former un trône sur lequel Euphémie a pu s’asseoir. D’autre part, l’épée que l’on voit se réfère à la main humaine qui a ôté la vie à la sainte malgré la protection divine qui l’avait sauvée jusqu’alors. Par ailleurs, l’épée permet aussi de donner une note de luminosité à l’ensemble, tranchant ainsi avec l’obscurité de la couleur de ses vêtements. Enfin, son état est explicité par la fleur de lys qu’elle tient dans sa main gauche qui fait référence à sa virginité, le lys étant symbole de pureté, et la palme du martyre qui est le signe distinctif des saints morts sous les supplices qu’ils ont subis.

Pour conclure cette explication (incomplète, certes, mais j’ai fait au mieux), je précise qu’à l’origine, la toile était présentée sous un crucifix et disposait de deux volets latéraux qui, sur leurs faces internes, représentaient divers moments du supplice de sainte Euphémie. Ces parties sont aujourd’hui perdues mais nous sont connues grâce à un poème publié à Naples à la fin du XVIe siècle qui racontait la vie de cette femme martyre.

Cette peinture qui peut sembler assez austère et terne comparée à d’autres tableaux comme le Saint Sébastien de 1478-1480 conservé au Louvre, n’en est pas moins très intéressante et témoigne de la période padouanne de Mantegna tout en fixant des éléments qu’il continuera d’utliser tout au long de sa carrière. Par ailleurs, cette oeuvre n’est qu’un minuscule échantillon pris entre toutes celles qui ont composé l’immense exposition que le Louvre a consacré à ce peintre qui n’a cessé d’avoir de nombreux admirateurs au fil des siècles.

Si vous souhaitez retrouver d’autres éléments d’explication et les peintures présentées, je vous renvoie (bien entendu) vers le catalogue complet de l’exposition.


A bit of good music !

21 Jan

Je suis dans une période un peu difficile car c’est le mois de janvier et que les étudiants sont en période de stress pour débuter l’année… Alors j’écoute de la musique, petits bonds en arrière avec une des mes chansons favorites, toutes catégories confondues : Hallelujah interprétée par Jeff Buckley. Pas très original : peut-être, mais cela n’enlève rien à la rivière de frissons qu’elle peut me procurer à chaque écoute. Alors voici une petite vidéo live…

Une petite deuxième pour la route car je suis retombée sur l’album de No Doubt Tragic Kingdom et ça me rappelle mes 15 ans quand j’ai acheté l’album à New York… et ça pallie au stress de janvier 😉 !

Hope you enjoy it !